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Etudiantes en Histoire et Histoire de l'Art

– Quand les ponts s’invitent dans l’univers Burtonien –

Quand on s’intéresse au cinéaste, il apparaît d’après les fans que Tim Burton ait plusieurs obsessions… Les chats, les arbres morts et les forêts denses, le noir et blanc, les spirales, les sorcières et les ponts. Apparemment Tim Burton est obnubilé par les ponts qui sont présents dans ses films.

 Mais avant toute chose pourquoi des ponts ?

(source : tbinside – World Press.com)

Déjà, parce que le Pont Burton existe ( notre photo de page de garde) et permet de franchir le fleuve Saint Jean au Canada !!!      Idéalement une excellente réponse, certainement un raccourci rapide permettant de clore rapidement cette question mais totalement inapproprié pour ce talentueux cinéaste ….

 Le pont sous toutes ses formes, est dans les films de Tim Burton parfois clairement matérialisé comme dans le cavalier sans tête, dans Charlie et la chocolaterie où il est fait de gazon, ou apparaissant comme par magie notamment dans l’étrange Noël de Monsieur Jack.

Le pont dans la religion, la mythologie et la littérature c’est la symbolique de relier un rivage à l’autre, relier deux mondes totalement différents comme le monde des vivants et celui des morts. Selon les différentes sources, le pont revêt plusieurs formes : raie de lumière, arc en ciel, pont fait de chaînes montagneuses, de bois, de pierres, de nuages, de marches, pont sur l’eau, sous l’eau, sur terre, sous terre, couvert ou non le pont reste également un passage initiatique, un instant de transition mais aussi une invitation au voyage.

Le pont devient alors un excellent prétexte à Tim Burton pour jouer avec les lignes, les formes de celui-ci : droites, courbes, ondulées, elles donnent une dynamique, un mouvement dans l’image et permettent à Tim Burton de prévenir inconsciemment le spectateur qu’il va rentrer dans un univers totalement différent, le monde étrange de Tim Burton.

– Tim burton et l’Expressionnisme allemand –

 
Faust, dans la lande – une première délivrance avec satan (source : Pinterest)
Affiche du film NOSFERATU de 1922 (source : Amazon)

Tim Burton ne s’est jamais caché d’avoir été influencé par l’expressionnisme allemand de l’entre deux guerres : celui du cinéma notamment par les lignes, les jeux avec les ombres et celui de la peinture pour les couleurs et les formes. Le style Burton, c’est avant tout un monde aux lignes étirées, des paysages, des architectures déformés, des personnages aux allures fantasques, un univers qui ne va sans rappeler celui d’artistes comme Munch, Kirchner, Schiele, Gorsz, Nodle ou Dix.
Le cinéma expressionniste allemand des années 20/30 va l’influencer pour les ambiances, les décors et le jeu de ses acteurs.

Extrait de Sleepy Hollow (Tim BURTON, 1999) (source : Allen John’s attic – Overblog)

Dans Sleepy Hollow, on retrouve l’ambiance de films tels que Faust ou le cabinet du docteur Cagliari. Un autre film Nosferatu va inspirer ses courts métrages : Vincent et Frankenweenie. Grâce au cinéma expressionniste allemand, Burton nous offre un jeu avec les lignes brisées, les cubes, avec les ombres qui s’allongent et se déforment.
Quant aux peintres, ils vont l’inspirer surtout dans l’utilisation de la couleur, franche parfois criarde très présente dans des films comme Alice au Pays des merveilles ou Charlie et la chocolaterie.   

Un univers coloré, torturé, singulier qui sera qualifié dans les années 40 d’Art Dégénéré par Hitler, mais qui encore plusieurs années après trouve écho dans les arts contemporains et notamment dans la production cinématographique de Tim Burton.

 

– Vivants et Morts : la frontiere floue dans un monde burtonien –

Sa passion pour le morbide et le rapport entre le monde des vivants et celui des morts, telle se définit la production de Tim Burton. Mais est-ce vraiment le goût pour le morbide ou simplement le goût pour les croyances populaires ? Toujours est-il que le monde caché et souterrain des Enfers comme le définissent les Grecs, est constamment présent dans son univers. Mais on peut également peut-être y voir simplement le goût pour la Tragédie.

Fondée en Grèce par Eschyle et Sophocle, revisitée en Angleterre par des auteurs tels que Shakespeare, la Tragédie se définit comme une œuvre dramatique dont le sujet est souvent emprunté à la Légende ou à l’Histoire. Elle met en scène des personnages soumis aux affres du Destin et suscite chez le spectateur la terreur ou la pitié à travers des épopées pleines de misères et de passions.

Photo extraite des Noces Funèbres de Tim Burton (source : Critikat)

Ainsi, toute la filmographie de Tim Burton a été bâtie sur ces critères fondamentaux. L’air de rien, le cinéaste conte des aventures dont la noirceur égale celles des épopées grecques. Que raconte Beetlejuice ? L’errance, entre deux mondes, d’un jeune couple fauché par la Mort. Que relate Sweeney Todd ? Les crimes abominables d’un barbier, consumé par le désir de se venger

Mais celui qui réunit passion, horreur, terreur et amour impossible, soit tous les ingrédients de la Tragédie digne du mythe d’Orphée aux Enfers c’est Noces Funèbres …. Ici, Tim Burton s’est inspiré d’une légende issue du folklore russe : celle de la défunte mariée et du prince malheureux qu’elle ravit au monde des vivants. Ce long métrage en stop motion sort en 2004, et totalise plus de 1,3 million d’entrées en France.

Afin de ne pas spoiler l’histoire pour ceux qui ne l’auraient pas vue, nous vous livrons le petit synopsis de cette magnifique histoire enchanteresse :

« Au XIXe siècle, dans un petit village d’Europe de l’est, Victor, un jeune homme, découvre le monde de l’au-delà après avoir épousé, sans le vouloir, le cadavre d’une mystérieuse mariée. Pendant son voyage, sa promise, Victoria l’attend désespérément dans le monde des vivants. Bien que la vie au Royaume des Morts s’avère beaucoup plus colorée et joyeuse que sa véritable existence, Victor apprend que rien au monde, pas même la mort, ne pourra briser son amour pour sa fiancée. »

Comme dans le film l’Etrange Noël de M. Jack de 1993, Tim Burton utilise à nouveau, dans son second long-métrage d’animation, la technique d’image par image propre au cinéma d’animation qui repose sur l’utilisation de décors rigides, de marionnettes qu’il faut habiller et maquiller avec les mêmes soins qu’une personne. Ainsi, chaque personnage est pris en photo le temps d’une image correspondant à une position. Ces personnages-marionnettes sont fabriquées par les célèbres créateurs Ian Mackinnon et Peter Saunders.

Si vous souhaitez en savoir plus sur la conceptions de ces fameuses marionnettes et que vous avez 6 minutes devant vous :

Les Noces funèbres de Tim Burton (source : Loopio) 



– Edward Gorey : Muse de Burton ? –

Edward Gorey et Tim Burton ou l’histoire de deux dessinateurs, écrivains, passionnés de monstres et d’histoires glauques !

Les enfants fichus d’Edward Goret (source :Tenseki – Overblog)

        Edward Gorey est un illustrateur qui aime les personnages au destin sordide ou aux occupations douteuses, des personnages mystérieux, énigmatiques, tout en longueur, les dessins à l’encre noire et à la plume. Malgré plus d’une centaine de livres destinés aux enfants et aux adultes, ce qui va populariser Gorey, c’est son animation de générique pour l’émission Mystery dans les années 80.

Si certains titres d’ouvrages laissent songeurs : la visitation irrespectueuse, la bicyclette épileptique, les Enfants fichus, l’invité douteux ou encore le buste sans tête, ses dessins nous plongent immédiatement dans un univers étrange, angoissant, terriblement noir… Très peu connu en France, Edward Gorey est l’icône de la culture gothique et de l’humour noir Outre Atlantique, son Abécédaire des « Enfants fichus » est très glauque et illustré à base… d’enfants morts .. « A pour Amy tombée au bas des escaliers », « G pour Georges étouffé sous le tapis », etc. : sinistre mais tellement décalé que l’on a envie de poursuivre la lecture …

Tim Burton a ainsi trouvé, dans les écrits extravagants et surréalistes de Gorey, ainsi que dans ses dessins, matière à pensées et à création ! Du reste, The Gashlycrumb tinies a directement inspiré à Burton La Triste fin du petit enfant huître et autres histoires (édition 10|18).   Si bien que l’on peut se demander …                                                        « Et si Edward Gorey n’existait pas, est-ce que Tim Burton existerait ? »    

 

– Le cavalier sans tête –

Tim Burton aime les histoires glauques à faire dresser les cheveux sur la tête. Sa passion pour les films d’horreur des années 20, pour les contes et légendes mythologiques ou populaires souvent liées au monde des morts, l’ont amené à produire le fameux film Sleepy Hollow ou la Légende du cavalier sans tête. Tim Burton s’inspire là de plusieurs récits, dont le plus connu est certainement l’histoire du Val Dormant de Washington Irving : l’histoire d’un cavalier Hessois ayant perdu la tête, arrachée par un boulet de canon lors de la guerre d’indépendance des Etats Unis. Cette nouvelle est publiée en 1820 dans le recueil The Sketch Book of Geoffrey Crayon, Gent. La légende raconte que chevauchant certaines nuits son cheval sur le champ de bataille, le revenant chercherait inlassablement sa tête. Cette légende a été dessinée par Wolfgang Reitherman des studios Disney, à qui Tim Burton rend hommage en reprenant certaines scènes du dessin animé dans son film.

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Le cavalier celte (source : Forum la Figurine historique et Fantastique )

Si toutefois cette légende remonte à quelques 250 ans, elle trouve ses racines bien plus tôt dans la culture celte. En effet, les Celtes redoutables cavaliers pratiquaient la décapitation des ennemis et avaient pour habitude d’accrocher la ou les têtes à l’encolure de leur cheval ou à l’entrée des villages dans une manœuvre avant tout de dissuasion. Bon nombre de découvertes archéologiques font références à cette tradition, comme le site de Ribemont-sur-Ancre (Aisne) et sa pyramide de têtes humaines et le site de Cailar (Gard). « Différentes possibilités doivent être envisagées quant à l’identité des individus décapités : hommes ou femmes, adultes ou immatures, ennemis ou héros[…] La présence des armes, étroitement associées aux restes humains, oriente largement l’interprétation vers un événement lié au monde guerrier[…]Enfin, s’agit-il d’ennemis vaincus ou de héros morts au combat ?[…] À l’heure actuelle, les deux possibilités sont envisageables […] » (extraits tirés de l’article L’exposition d’armes et de têtes coupées au Cailar, Pratiques rituelles des Celtes du Midi au IIIe siècle avant notre ère, Elsa Ciesielski, Benjamin Girard, Réjane Roure, in [Archéopages n°39 Le sort des vaincus], Gand, Septembre 2014)

Attention, ce film de 1999 est interdit au moins de 12 ans. Film plusieurs fois nominé et récompensé. Afin de conserver une part de mystère, et vous invitant vivement à regarder, nous vous livrons ci-dessous quelques lignes de synopsis :
« En 1799, dans une bourgade de La Nouvelle-Angleterre, plusieurs cadavres sont successivement retrouvés décapités. Les têtes ont disparu. Terrifiés, les habitants sont persuadés que ces meurtres sont commis par un étrange et furieux cavalier, dont la rumeur prétend qu’il est lui-même sans tête. Les autorités new-yorkaises envoient alors leur plus fin limier pour éclaircir ce mystère. Ichabod Crane ne croit ni aux légendes, ni aux vengeances post-mortem. Mais, à peine arrive, il succombe au charme étrange et vénéneux de la belle Katrina Van Tassel. »
Pour donner encore plus de sueurs froides, Tim Burton insista pour que les têtes décapitées aient l’air aussi réalistes que possible. Il mobilisa les meilleurs spécialistes de maquillage et d’effets spéciaux. Quant à l’acteur principal, acteur fétiche de Tim Burton, Johnny Depp cerne à merveille son personnage et rend hommage au cinéma fantastique de Hammer des années 1930. De plus, il adoptera son compagnon de tournée car celui-ci était destiné à l’abattoir à la fin du film …. Comment ne pas tomber sous le charme !

– Tim Burton et les Arts Graphiques –

Tim Burton aussi surprenant que cela puisse paraître est avant tout un dessinateur. Depuis son adolescence, il aime dessiner des personnages, crayonner, leur donner vie. Des dessins en tous genres, peintures, personnages inspirés des Freaks, silhouettes d’arbres et de maisons à la Hopper. Son univers est fait de lignes tracées souvent en noir et blanc qui se tordent, se brisent pour amener le spectateur dans un univers complexe, rappelant singulièrement celui les gravures d’antan

Beetlejuice, Edward, Jack Skellington & Sparky (source : Tim-Burton.net)

 

Image extraite du film de L’étrange Noël de Monsieur Jack ( source : Vivrelibre -Overblog)

Car Tim Burton est un passionné d’Art, mais surtout d’Arts Graphiques. Surnommé    « serial-dessinateur » par certains, il développe ce don dès son enfance, rapportant plusieurs prix à l’école et dans sa ville. Ecolier peu motivé, il remporte un prix notamment pour la réalisation d’une publicité anti-ordure dans la ville de Burbank (Californie). Poursuivant ses études au California Institute of Arts, il accompagne ses cours d’histoire de l’art par des croquis. A la fin de ses études, il se tourne vers les studios de production Disney, développant toute une panoplie de monstres pour le dessin animé en cours de réalisation « Taram et le chaudron magique ».
 
Si ses monstres ne sont pas retenus, son talent est toutefois remarqué et c’est avec le soutien de deux amis de chez Disney qu’il concrétise en 1984 deux courts métrages : Vincent et Frankenweenie. Ces deux animations jugées trop morbides ne seront pas produites par Disney. Toutefois, Frankenweenie sort sur les écrans en 2012 … Avec les studios Disney !

 

C’est le premier long métrage en noir et blanc et le premier film en stop-motion, il a emporté le prix Saturn du meilleur film d’animation et a été nominé pour un Oscar, un Golden Globe, un BAFTA, et un Annie Award. Frankenweenie est l’histoire d’un enfant, Victor, fan de films d’horreur, dont le chien vient de mourir. Inconsolable, il se transforme en Docteur Frankenstein et ramène son chien à la vie…Bientôt suivi par d’autres adolescents de sa classe, les animaux de compagnie vont venir perturber la tranquillité de la ville.

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Affiche du film FRANKENWEENIE de Tim BURTON (source : AlloCiné)

– Quand Tim Burton s’invite au Moma … –

Du 22 novembre au 26 avril 2010, le MoMA de New York a proposé une rétrospective sur la carrière de Tim Burton. Entre marionnettes, croquis, maquettes et costumes, les visiteurs ont pu découvrir les films non professionels ou encore les travaux de Tim Burton lorsqu’il était étudiant. Découvrir son parcours, ses dessins. Car l’univers de Tim Burton n’est pas seulement cinématographique mais c’est aussi un univers graphique avec des centaines de croquis, de dessins, de dessins préparatoires et de peintures toutes quasiment en rapport avec la cohabitation du monde des vivants avec celui des morts. Lorsqu’il a su que le MoMA envisageait une rétrospective de son œuvre non spécifiquement cinématographique, Tim Burton aurait réagi en disant qu’il ne pouvait s’agir que d’une « blague ».

Affiche de l'exposition au Moma, par TIM BURTON
Affiche de l’exposition au Moma, par TIM BURTON (source : MoMa)

Cette exposition a été présentée à Paris à la cinémathèque de mars à août 2012. L’événement autour de Tim Burton a été non seulement l’occasion de revoir tous ses films (dont ses courts métrages les plus confidentiels) mais aussi, de découvrir ses talents autres que ceux de cinéaste.

Car c’est dans la banlieue de Los Angeles que tout commence. Tim Burton adolescent griffonne des personnages caricaturaux aux reliefs du corps accentués : nez, seins et fesses, oreilles, cheveux. Ici des nez revêtent des allures de triangles, là, les yeux sortent des orbites pour aller, au bout de tuyaux télescopiques, se promener sous les jupes comme avec Man undressing woman with his eyes (« Homme déshabillant femme avec ses yeux »). Tout dans son art fait partie de cette lecture d’un monde qu’il emprunte à l’expressionnisme et au pop art, le tout inspiré par le surréalisme. Si l’on compte peu de monstres traditionnels dans son œuvre, certains sont empruntés à l’imagerie populaire et à son imagination. Dans tous ses films, le cannibalisme n’est jamais loin, l’humanité est mise à nu, non seulement socialement, mais jusqu’au squelette. Dans une œuvre de jeunesse, on voit notamment un squelette se déshabiller… de sa peau humaine. Allégorie d’une humanité pervertie ? Le conte de Mr. Jack peut être perçu comme un appel à dépasser l’apparence pour voir l’humanité des monstres et la monstruosité des humains. Ainsi, ses héros, singes, aliens, vampires, monstres et squelettes peuvent bien, malgré les apparences, nous mettre en face de notre propre inhumanité.